Jeux olympiques au Revard ou le rendez-vous manqué de 1924

La perspective des Jeux olympiques 2030 ravive bien des souvenirs avec les J.O d’Albertville (1992) en Pays de Savoie, les J.O de Grenoble (1968) pour certaines têtes blanches. Mais saviez-vous que la première édition des Jeux olympiques aurait pu être organisée sur le plateau du Revard, à quelques encablures d’Aix-les-Bains ? Enquête sur un rendez-vous manqué.

1924 ou le retour des Jeux olympiques à Paris

Plus vite, plus haut, plus fort telle est la devise des Jeux olympiques modernes qui résonna pour la première fois aux Jeux olympiques de Paris en 1924.

Au lendemain de la Grande guerre, la perspective des J.O à Paris devait être une nouvelle chance pour la France. Paris avait déjà accueilli les olympiades de 1900 – un événement qui n’avait pas rencontré le succès escompté, en raison, dit-on, d’une organisation hasardeuse. Remporter les jeux de 1924, une belle revanche !

Au lendemain de la Grande guerre, la France rêve de grandeur. Accueillir les VIIIèmes jeux olympiques à Paris sonne comme la promesse d’un nouveau souffle patriotique. Et puis, on se gargarise : n’est-ce pas à la France et à son valeureux baron de Coubertin qu’on doit la résurrection des jeux helléniques ?

1920 – Paris rêve des Jeux olympiques – le Revard devenu paradis des sports d’hiver

Pendant que le tout Paris a la fièvre des Jeux, Aix-les-Bains, cité mondaine par excellence, bouillonne de projets toujours extravagants. La Belle époque est finie. Qu’à cela ne tienne. La guerre aussi est finie. Les hôtels transformés pour certains en hôpitaux de fortune retrouvent leur superbe. Place aux années folles !

En 1920, Aix-les-Bains s’affaire : il faut chouchouter les baigneurs (curistes) qui mènent grand train, et pour ce faire, les médecins innovent et déclinent autour du climatisme, de nouvelles thérapies. En ville, on a beau agrandir les thermes, le thermalisme ne suffit plus. On continue d’aménager les pourtours de la ville, avec un hippodrome, un golf ou encore le tir au pigeon… Présence britannique oblige.

Aix-les-Bains n’a pas attendu 1920 pour distraire ses prestigieux visiteurs, elle a une réputation à tenir. Grâce à l’aménagement du sensationnel Train de la Crémaillère, l’ascension se fait plus aisée pour rejoindre le Mont-Revard. Depuis la place des Thermes, on croirait que ce sommet à 1500 mètres d’altitude couve la cité thermale. Quelle formidable attraction que d’y monter, de s’y promener et d’atteindre l’Observatoire, pour apercevoir le lac d’un côté et de l’autre le Mont-Blanc.

Ainsi, au début des années 1920, le Mont-Revard rivalise avec les stations suisses. Façonnée depuis plus de 30 ans pour divertir quelques privilégiés aventuriers, la station s’est affirmée en ce début de siècle comme LA station de sports d’hiver des Alpes françaises par excellence, tant elle offre à faire à ses invités acheminés par le train de la Crémaillère.



En 1920, le Revard est un rêve devenu réalité. Pour le comprendre, il suffit de revenir à 1890, au jour de l’inauguration du chalet refuge du Revard, au cours de laquelle Victor Barbier, Président du Club alpin français, à la tête de la société d’aménagement du Revard aurait déclamé ces vers :

Ce dernier vers évoque le chantier d’envergure entrepris pour raccorder le Revard à la cité thermale grâce à une voie ferrée 9km aménagée à fleur de falaise. Deux ans plus tard, en 1892, cette voie ferrée, communément appelée “la Crémaillère” assure les liaisons entre Aix et le Revard. Grâce à la Crémaillère, la station se développe aux beaux jours d’abord, au gré de projets hôteliers audacieux et des programmes médicaux basés sur les vertus du climatisme. 

Le Revard, pionnier alpin des sports d’hiver

Très vite, il est question de faire vivre la station l’hiver, avec des compétitions sportives inédites. Le Revard se distingue en se dotant d’équipements encore rarissimes dans le paysage alpin, tels que le tremplin, mais aussi une patinoire de 4000 mètres carrés voit le jour, éclairée grâce à l’électricité. 

On y organise des tournois internationaux de curling, matchs de hockey, sauts à ski sur le grand tremplin, danses rythmées sur la patinoire avec, la nuit, des projections lumineuses, gymkanas, courses de bobsleighs, courses de rennes attelés. Le Revard a été la première station à présenter une descente aux flambeaux agrémentée d’un programme pyrotechnique, avant-guerre en 1913.

Le Revard est avant-gardiste. On y vient de toute part, pour s’essayer à ces nouveaux sports. En témoigne ces écrits d’Albert Dauzat, auteur et journaliste au Monde, dans son ouvrage Un mois dans les alpes.

1924 ou la perspective des premiers Jeux olympiques de sports d’hiver

Nous y voici. Juin 1921. Le comité international olympique (CIO) réuni à Lausanne retient la candidature de Paris pour les Jeux de 1924. Et à ce même moment, s’esquisse le projet des Jeux olympiques des sports d’hiver.

« En dehors des pays septentrionaux, certaines nations de l’Europe centrale et occidentale sont désormais elles-mêmes en position d’organiser une compétition de sports de neige aussi bien que de glace, lesquels, par leur rude et splendide manifestation de l’activité physique moderne, sont dignes de prendre place au programme des Jeux Olympiques ». (citation)

Un an plus tard, en juin 1922, le congrès des fédérations et commissions internationales des sports d’hiver retiennent 9 disciplines au programme des compétitions que sont le Bobsleigh, Combiné Nordique, Curling, Hockey sur glace, Patinage artistique, Patinage de Vitesse, Patrouille militaire (l’ancêtre du biathlon), Saut à ski et Ski de fond. Des compétitions ouvertes uniquement à ces messieurs, tout comme les olympiades modernes en sommes. Des compétitions que le Mont-Revard aurait tout lieu d’accueillir, la station en a l’habitude.

En 1924, les premiers jeux olympiques de sport d’hiver ont bien lieu. A Chamonix.

Le Revard et le rendez-vous manqué des premiers Jeux Olympiques d’hiver

100 ans plus tard, on parle des « Jeux olympiques » de Chamonix. Mais, à l’époque, ces premiers jeux qui ne disaient pas leur nom étaient présentés comme « la grande semaine internationale des sports d’hiver » parrainée par le Comité international olympique. Pourquoi recourir à pareille périphrase ou autrement dit, pourquoi faire si compliqué ? Pour des raisons politiques pardi ! A l’époque, le CIO tente de ménager les susceptibilités des Scandinaves. Historiquement, ce sont eux qui avaient impulsé les compétitons de sports d’hiver et les pays scandinaves n’ont pas attendu le CIO pour organiser une compétition internationale. Eux avait déjà créé les « Jeux nordiques ».

100 ans plus tard, on a oublié que les athlètes français et leurs homologues des Alpes n’ont pas brillé face aux Scandinaves bien plus affûtés. Les militaires français ont certes sauvé les apparences, mais les concours de patrouilles ont été mis hors compétitions – pacifisme oblige. Ces premiers jeux opèrent un choc des cultures et font prendre conscience de la haute technicité des sports d’hiver. Et fin 1924, sous l’impulsion du Club alpin français sera créée la Fédération française de ski pour structurer la compétition.

100 ans plus tard, Aix ne s’en est pas complètement remise – du moins, quelques nostalgiques. « Le Mont-Revard était si bien aménagé, surtout pour l’époque ». Et la reine des stations s’était déjà illustrée en accueillant tant de grands événements mondains et sportifs… 

Encore fallait-il qu’une candidature en bonne et due forme soit portée pour accueillir les Jeux olympiques au Mont-Revard. Contrairement à ce qu’on peut entendre dire ou lire, Aix-les-Bains n’avait pas voix au chapitre. Et pour cause, Aix ne fait pas partie des 5 communes sur lequel s’étendait ce domaine créé par une société d’aménagement, sous le patronage du Club alpin français, et exploité à compter de 1923 par la Compagnie du PLM.

Chamonix avait beau être reliée directement par le rail, Paris-Chamonix nécessitait encore 13 heures de voyage à bord du train. A la hâte, Chamonix a dû se doter d’une patinoire et d’autres infrastructures en un temps record pour honorer ces premières olympiades hivernales. D’ailleurs, si le bilan sportif a été médiocre, le bilan financier des jeux de Chamonix a été catastrophique. La compétition n’a pas su capter de public, autre qu’une poignées d’amateurs éclairés. Mais quel héritage ! Sports d’hiver et olympisme n’étaient pas encore entrer dans la culture sportive des Français.


Remerciements – Merci à Joël Lagrange, directeur des archives municipales d’Aix-les-Bains et son équipe pour leur disponibilité et leur accompagnement

Pour aller plus loin :
Société d’Art et d’Histoire, Le Revard, Arts et mémoire, Juin 1996 – numéro spécial
Revue Staps, 2014 “Les relations entre tourisme et sport autour des Jeux olympiques de 1924”, Pierre-Olaf Schut, Éric Levet-Labry
Le programme des Jeux de Chamonix en 1924


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Publié par Karen

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