Comment laisser passer le 8 mars, journée des droits des femmes, sans évoquer les combats et les ambitions d’au moins une icône féminine affranchie, qui a contribué à faire rayonner Aix encore savoyarde. A la rencontre de Marie-Laëticia Bonaparte-Wyse connue chez nous sous le nom de Marie de Solms.
Un puissant rayonnement intellectuel, avant Belle époque
Qu’on soit bien clair, si Marie de Solms s’installe à Aix, ce n’est pas uniquement pour l’attrait des cures, ni la beauté du lac du Bourget plus tard promue par Lamartine ou encore bien plus tard par le label #AixRivieradesAlpes. 🙂
Marie-Lætitia Bonaparte-Wyse est un pur produit politique de l’ère romantique européenne. Née en Irlande 1831, elle est la quatrième enfant d’un mariage de haut-rang entre Sir Thomas Wyse, diplomate britannique et Laëtitia Bonaparte, nièce de Napoléon. Il se dit qu’elle serait en fait la fille d’une idylle entre sa mère et un officier britannique…
Élevée à Paris, dans les jupons de Madame Récamier, elle s’empresse, toute jeune mariée, de tenir un salon parisien remarqué. Là, elle véhicule ses idées, ses moqueries, mais aussi un penchant pour la République, elle aurait distribué Les châtiments de Victor Hugo et même sa désapprobation des événements de 1851 ayant donné lieu au coup d’Etat et à l’oppression. Autant d’activités et d’opinions libérales jugées dangereuses par le Second Empire nouvellement instauré. Alors qu’elle s’entête à brandir son appartenance à la famille impériale, Marie de Solms est condamnée à l’exil en février 1853. On dit aussi que cela aurait fait l’affaire de l’Impératrice Eugénie, jalouse des visites répétées de Napoléon III à sa jeune et belle cousine…
C’est parce que la Savoie constitue encore un Etat à part entière – le Royaume du Piémont-Sardaigne que la « Princesse de Solms », à qui Napoléon III aurait aussi interdit d’user du nom Bonaparte, en fera sa terre d’asile, dès août 1853. Quoi de plus normal donc pour cette érudite, délaissée par son mari rallié à l’oppresseur, de rebâtir à Aix-les-Bains un vivier intellectuel, littéraire et artistique, fédérant au-delà des proscrits du 2 décembre comme pour tenter d’apaiser son mal du pays.
Le Théâtre à Aix, un héritage de Marie de Solms ?
Plus qu’une « muse des Alpes », dont on loue la beauté et l’intelligence, Marie de Solms ne se contente pas d’inspirer ses contemporains, elle est résolument une femme d’action, éprise des lettres et des arts. Un portrait à nuancer, si on s’en remet à l’avis critique du poète Alphonse Karr, lui aussi proscrit et établi à Nice. Pour lui, si la princesse est jolie, mais elle aurait « peu d’esprit »…
Acte Ier et fondateur de Marie de Solms : la création de son propre théâtre en 1854 – bien avant donc que le Casino Grand Cercle inauguré en 1849 n’abrite son fabuleux théâtre à l’italienne. Il faut attendre en 1880 pour qu’un théâtre permanent soit ajouté au Casino. Ce théâtre du Chalet, elle en est naturellement la directrice. Elle y fait jouer ses propres pièces compilées dans « Les Soirées d’Aix-les-Bains » (Corinne ou l’Italie, Les Suites d’un ménage de garçon, une Livre de Chari, Aux pieds d’une femme…), ainsi que les pièces inédites d’Alfred de Musset mais aussi de grands classiques à l’instar de Marivaux…
« Alexandre Dumas qui se pique d’avoir été l’ami de tous les grands esprits de son siècle vient y faire la cour à la jeune princesse, Ponsard, lui, devient son hôte le plus assidu… Jamais Aix-les-Bains n’avait été aussi animée. On venait de Paris, de Florence et de Vienne pour y assister aux premières représentations du Chalet »
La Vérité sur Madame Rattazi, 1869 (auteur inconnu)
Une œuvre littéraire colossale, à l’instar des poésies à la gloire de la Savoie
Acte II, ou du moins parallèlement au théâtre, Marie de Solms s’abandonne à la création littéraire. En Savoie, Marie de Solms renoue avec la poésie dont elle maîtrise les codes depuis l’enfance. Attristée par la perte soudaine des reines Marie-Thérèse (mère) et Marie-Adélaïde (épouse) subie par le Roi Victor Emmanuel II, Marie de Solms dédie à son protecteur « Chant funèbre ». Un poème mêlant compassion et éloge politique, dans lequel elle hisse Victor-Emmanuel II au rang de souverain idéal, aimé de son peuple avec le vers suivant : « bénissez l’alliance intime, d’un peuple et roi magnanime ». Comprendre a contrario de son tyran Napoléon III.
Un peu plus tard, elle assume son statut d’exilé politique en signant plusieurs poèmes sous son propre nom dont « Fleurs d’Italie, poésies et légendes », publié en 1859 à Chambéry, par l’imprimerie Ménard et Compagnie. A travers « La Dupinade suivie des Chants de l’exilée », l’exilée de Savoie manifeste ainsi son amitié à l’exilé de Guernesey alias Victor Hugo.
Des « Matinées d’Aix » au « Journal du Chalet », cancans aixois et plume rebelle !
Acte III : la création d’une revue mondaine en 1858 intitulée « Les Matinées d’Aix », en écho à sa revue parisienne, « Les Matinées françaises« , rebaptisée en 1863, « le Journal du chalet », en référence à sa demeure dit « le Chalet de Solms ». Parmi ses pseudonymes : le Vicomte d’Albens ou encore Mary le Vicomte de Tresserve.
Ces revues contiennent des caricatures qu’elle dessine elle-même, des critiques littéraires et artistiques auxquelles prennent part Eugène Sue, ou encore Victor Hugo, mais aussi des chroniques politiques acerbes, parfois signées de grandes personnalités. Elles comportent aussi une mine de témoignages sur la vie et les cancans de l’époque. Etrangement, l’opinion de l’époque véhicule déjà un sentiment d’insécurité croissant, en dénonçant la multiplication des vols et l’impuissance de la police… Un semblant de déjà-vu ?!
A savoir que des collectionneurs conservent précieusement cette publication, mise à prix jusqu’à 450 euros pour l’équivalent de deux ans de revues…

A la suite de l’annexion de la Savoie en 1860, un accord est passé. Marie de Solms rejoint Paris et se recrée aussitôt une place de choix dans la haute-société de l’Empire. En fait, où qu’elle se trouve Marie de Solms continuera d’écrire, de commenter, de livrer ses critiques littéraires… Elle prend sous le pseudonyme de « Baron Stock » et contribue au journal « Le Constitutionnel » de l’académicien Sainte-Beuve. Mais son insolence lui vaudra un nouvel exil. D’où son bref retour à Aix, et son installation à Turin. A la suite de son mariage avec le ministre Urbain Rattazzi, elle poursuit son oeuvre avec « Les Matinées italiennes », puis à Madrid, avec « les Matinées Espagnoles » – logique ! Son ambition : révéler auprès du public français des talents littéraires du monde latin, qu’elle s’empresse de traduire.
Quant à la création littéraire pure, Marie de Solms s’y adonne continuellement. Parmi ses oeuvres, on retient le petit conte burlesque Comtesse Eguor au Lac du Bourget , signé « Eiram Smols », soit l’anagramme de Marie de Solms paru aux éditions Ledoyen, 1857 (consultable à la Médiathèque J.J. Rousseau, Chambéry).
Le Chalet de Solms, un haut-lieu d’influence… conçu sans cuisine !
Aix a tiré profit de l’exil de Marie de Solms, qui vivra pendant une dizaine d’années au Chalet, un temps avec son fils et son jeune frère Lucien, connu pour avoir travaillé sur le percement du canal du Panama.
Encore aujourd’hui, on aperçoit au numéro 6 de la rue Alfred-Garrod à Aix-les-Bains, le « Chalet de Solms », riverain également de l’avenue Marie-de-Solms. Le terrain avait été acheté par le comte Alexis de Pomereu, qui serait le père naturel du premier enfant de Marie de Solms, à savoir Alexis de Solms. Dans sa dernière revue, elle confie en 1890 « qu´elle fit elle-même les plans du chalet oubliant d´y placer une cuisine. Alexandre Dumas, alors en villégiature à Aix, aurait été obligé d’aménager un équipement de fortune pour régaler les invités ». (source)
Son séjour aixois, au Chalet, prend fin en 1863. Quelques jours après le décès de son premier époux, Marie de Solms devient l’épouse du Comte Urbain Rattazzi, ministre de Cavour. Ses séjours aixois restent réguliers jusqu’en 1877, date à laquelle elle se marie une troisième fois, cette fois-ci avec Don Luis de Rute, établi à Madrid. So International ! Veuve pour la 3ème fois et ruinée, elle vend en 1894 le chalet. Le parc entourant le chalet jadis est désormais l’emprise de nouveaux immeubles…. La loi de la densité oblige.

Celle qui a tant convoité son retour à Paris y parvint. Elle le regagna en 1889 et y mourut treize ans plus tard, à l’âge de 70 ans, à son domicile boulevard Poissonnière. Et pourtant, la Princesse de Solms repose au cimetière d’Aix-les-Bains, auprès de sa fille (adoptive?) Lola, morte à 3 ans. L’enfant avait été percutée par une navette d’hôtel après avoir échappé à la vigilance de sa nourrice en 1888.
Crédits photo : Riverside Photography
Aix-les-Bains – 2020
Pour aller plus loin
Harsany, Zoltan-Etienne, La vie à Aix-les-Bains au XIXe siècle (1814-1914), Chambéry, Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie, 1982, 404 pages, et du même auteur, Marie de Solms, femme de Lettres, Aix-les-Bains, Imprimerie multi 73, 1989, 70 pages.