Amour d’été – la désillusion de Balzac à Aix-les-Bains

Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Honoré de Balzac qu’on peut prétendre à toutes les aventures… Attiré par les charmes de la Marquise de Castries, alors en résidence à Aix pour l’été 1832, le grand maître du roman persévéra (en vain) pour plaire à sa belle…

Aix-les-Bains, résidence d’été de la Marquise de Castries

C’était à Aix que naquit l’idylle entre Julie Charles et le poète Alphonse de Lamartine. Malheureusement, l’histoire ne fut pas aussi propice pour Honoré de Balzac. C’est sans doute à Aix que Honoré de Balzac aura gardé sans doute l’un de ses souvenirs amoureux les plus douloureux.

Séduit depuis quelques mois par l’influente Marquise de Castries, Honoré de Balzac n’écouta que son courage lorsqu’il quitta ses amis avec qui il passait l’été 1832 dans l’Anjou. La belle était à Aix pour prendre les bains, tentant de se remettre d’une grave chute de cheval survenue 3 ans plus tôt. Il rejoignit Aix-les-Bains fébrilement, au point de se blesser la jambe sur le marchepied de la diligence.

Cette belle rousse au front élevé, rapporte-t-on dans la haute-société, entretenait depuis plusieurs mois une vive correspondance avec le romancier, tombé sous le charme de la Marquise. Elle avait engagé cette relation épistolaire pour lui livrer ses impressions littéraires, d’abord en privilégiant l’anonymat en recourant à un nom d’emprunt britannique…

Aix ou le temps d’une idylle (trop) platonique

En bonne hôte, tout en repoussant poliment ses ardeurs, la Marquise lui fit réserver chez Roissard une « jolie petite chambre d’où l’on voit toute la vallée d’Aix et à l’horizon des collines, la haute montagne de la Dent du Chat, le délicieux lac du Bourget » (extrait de la Revue des Deux-mondes).

Face à sa fenêtre, il noya ses états d’âme dans son travail. Le romancier prit ainsi pour habitude de se mettre à l’ouvrage dès 5h30 du matin, jusqu’à 17h30, se faisant livrer un léger déjeuner par le restaurant du Cercle. Ce serait à Aix, qu’en trois jours et trois nuits, il aurait composer Le Médecin de campagne – du moins c’est ce que le romancier aurait avancé sûrement dans le but de faire prendre en charge le voyage. Sa belle l’invite tout de même en soirée pour le dîner. Aussi fit-il chez elle la connaissance du baron James de Rothschild, avec qui il noue une relation durable.

Lorsque sa jambe fut remise, elle le conduisit à la découverte du lac du Bourget, à travers la Chartreuse… Il découvre « l’abbaye mélancolique de Hautecombe, sépulture des rois de Sardaigne prosternés devant les montagnes comme des pèlerins arrivés au terme de leur voyage », comme il l’évoque dans une réédition de Peau de chagrin (1835). Des escapades romantiques au cours desquelles elle l’autorise à l’appeler « Marie ». Lui seul obtint cette faveur, mais aussi un seul baiser. Nouvelle promesse d’un avenir amoureux : la Marquise émit l’idée d’un voyage en Italie. Un voyage qui sera écourté dès la première étape à Genève…

Fin du séjour à Aix-les-Bains, désillusion amoureuse et désir de vengeance

Heurté par cette fin précipitée, dont la cause ne sera jamais révélé, Honoré de Balzac supporte difficilement ce qu’il interprète comme un violent mépris de la part de la Marquise de Castries. Il écrivit d’ailleurs un passage, jamais publié dans l’oeuvre finale du Médecin de campagne à propos de cette quête inachevée : « quelques mois de délices et puis rien. Pourquoi m’avoir donné tant de fêtes ? […] La veille j’étais tout pour elle ; le lendemain, je n’étais plus rien. […] Pendant quelques heures, le démon de la vengeance m’a tenté. Je voulais la faire haïr du monde entier, la livrer à tous les regards attachée à un poteau d’infamie. »

A défaut de publier cet extrait, Balzac dépeindra plus cyniquement cette beauté froide sous les traits de La Duchesse de Langeais, parue en 1833. C’était sans compter sur les sentiments véritables de la Marquise, loin d’être une détestable coquette. Meurtrie par la perte de son amant survenue violemment en 1829, elle se reprochait en fait d‘aimer une nouvelle fois, comme s’il s’agissait d’une infidélité criminelle à la mémoire du défunt. Jamais le dépité Balzac ne sut lire ce cœur tourmenté…

Une romance sur fond d’ambition politique ?

Qu’était en fait la Marquise de Castries aux yeux d’Honoré de Balzac ? La quête d’un nouvel amour a priori. Née d’une union entre l’un des plus grands représentants de l’aristocratie française et d’une descendante de la famille royale des Stuarts, Henriette de Maillé de La Tour-Landry était aussi la nièce du duc de Fitz-James, l’un des piliers du parti légitimiste, fidèle à Charles X.

Balzac, lui, a troqué ses idéaux libéraux. Balzac devient sympathisant du pouvoir monarchique rétabli. Il défend publiquement la monarchie des Bourbons. Il collabore pour le journal « Le Rénovateur », publication d’orientation légitimiste, dirigée par … le duc de Fitz-James. Dès 1831, il ne cachait pas son ambition politique, et espérait un riche mariage, qui outre le bonheur conjugal, puisse lui garantir l’éligibilité du fait du suffrage censitaire. C’est bien cette ambition que dénoncera leurs correspondances à l’automne 1832 son amie, Mme Carraud, de conviction républicaine.

« Vous êtes à Aix parce que vous devez être acheté à un parti, et qu’une femme est le prix de ce marché, parce que votre âme est faussée, parce vous répudiez la vraie gloire pour la gloriole » lui rétorqua Mme Carraud en réponse à ses lamentations par un courrier de septembre 1832.

Correspondances avec Madame Carraud

L’écrivain quoique devenu célèbre conservera une relation amicale avec la Marquise de Castries, à qui il délivrera en avant-première ses feuillets. Il suffisait de mettre un tant soit peu son orgueil de côté…

Photo de couverture : Vitor Monthay

Publié par Karen

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