« Aimez-vous les uns, les autres » ou Aix la protestante

« Aimez-vous les uns les autres », voilà injonction biblique qui a tout lieu d’étonner l’observateur averti. Que fait une telle inscription sur ce bâtiment du XXème au corps massif abritant qui plus est un club de bridge ? Certes, on distingue un sobre clocher … Reconnaissez que ce n’est pas commun. Encore un héritage du thermalisme cosmopolite qui a marqué l’histoire d’Aix-les-Bains. A la (re)découverte de l’Estal.

Un asile protestant faisant oeuvre de bienfaisance

« Estal », cela signifie en patois savoyard l’asile, le refuge, tout simplement. Et pour cause, l’Estal n’est autre qu’un ancien asile évangélique. Evangélique ? Là encore, il faut apporter une précision. N’imaginez pas des incantations dignes des sectes évangélistes … Evangélique, tout simplement parce que jadis, cet asile était tenu par une communauté religieuse. En l’occurrence, il s’agissait de protestants. « Les protestants tenaient aussi à rendre visible leur spécificité dans des domaines où l’Église catholique occupait traditionnellement une place prépondérante. »

Nous sommes à la fin du XIXème siècle. Le thermalisme bat son plein. Les mondains affluent. Parmi eux, des protestants, en minorité certes. S’il existait déjà un établissement tenu par les Sœurs de Saint-Joseph, discrètement, dans une villa de l’avenue du Petit Port, un premier asile ouvre ses portes en 1875 pour accueillir prioritairement une quinzaine de coreligionnaires en cure à Aix. Sans cette institution, certains auraient sans doute renoncer à la cure.

Le pasteur Fournier voit plus grand. Lui, qui officie à Chambéry, se trouve à suivre une cure à Aix-les-Bains et c’est ici qu’il poursuivra son œuvre, avec l’appui des grands médecins. A commencer par le Docteur Brachet, qui intervenait gratuitement. Pour l’anecdote, lui-même ayant épousé une … protestante, peut-être a-t-il été plus sensible à la cause !

Avec l’asile évangélique, puis l’Estal, le protestantisme s’affirme à Aix-les-Bains

Très vite, une souscription lancée auprès de la communauté protestante – notamment en Suisse et en Ecosse – lui permet de réunir les fonds nécessaires à l’ouverture d’un asile plus conséquent et à la création d’un nouveau temple protestant, puisque Saint-Swithun ne suffit pas à accueillir les fidèles nombreux. Il se laisse même dire que l’argent arrivé à flot a profité au temple de Chambéry …

C’est ainsi qu’un véritable asile d’une dizaine de chambres individuelles et partagées trouve sa place en 1878 dans le prolongement des anciens thermes Pelligrini, au sud, sur l’emplacement de l’ancienne piscine des Thermes nationaux. L’asile assure ainsi à « ses coreligionnaires pauvres les bienfaits des eaux thermales dont la valeur curative parait parfois tenir du miracle ». La maison pouvait accueillir 200 personnes par saison, à raison de 35 à la fois. Domestiques, cultivateurs, ouvriers, instituteurs étaient les principaux hôtes de l’asile, et côtoyaient ainsi des pasteurs ou des membres de leur famille.

L’Estal, témoin de l’Art-déco

Mais voilà que le projet d’agrandissement des Thermes nationaux lancé par l’Etat dans les années 1930 (Thermes Pétriaux) implique de transférer l’asile évangélique. Ce sera en lieu et place des anciennes serres municipales, en dépit de l’interdiction faite d’empiéter le parc par toute constructions … D’ailleurs, à cette époque, le parc est totalement remodelé : les kiosques à fleurs font leur apparition (lire notre article).

La reconstruction financée par l’Etat est confiée à l’architecte André Farde, qui optera pour une architecture mêlant régionalisme (toiture échancrée, allure de chalet suisse, grosses pierres apparentes à la base du bâtiment) et style Art-déco.

L’architecte aixois à qui le Docteur Saidman avait aussi confié les plans du Solarium a laissé son empreinte à Aix, en construisant également un immeuble avenue de Marlioz, désigné comme l’immeuble Farde, situé actuellement en face de la gendarmerie. Il a affirmé un parti pris « Art-déco » beaucoup plus franc, au 7 avenue Charles-de-Gaulle, en bâtissant un immeuble surmonté d’une pergola, et dont les mosaïques habillent toujours les façades des commerces ayant pignon sur rue.

L’Estal, cultes réformé et franc-maçon

Nous sommes en septembre 1933. Le tout nouvel asile évangélique ouvre ses portes. L’église intégrant l’aile Nord permet d’accueillir convenablement la communauté protestante. « La chair et les plaques commémoratives proviennent de l´ancien édifice. De même, le décor intérieur du temple a été refait à l’identique« . La fondation restera seul maître à bord pendant soixante ans.

L’Estal reste aux mains de la fondation protestante tout en s’ouvrant à d’autres activités. Le club de bridge y élit également domicile, en 2006, puis en devient propriétaire en 2012. Les services municipaux occupent provisoirement l’aile Sud du bâtiment face à l’hôtel de la police municipale. Tandis qu’un autre « temple » qui s’y installe. Celui d’une loge de francs-maçons, aussi connu sous le nom de Fratlac. Prière de ne pas se tromper de porte, ni d’étage.

L’histoire continue, puisque l’Estal fait l’objet d’un important chantier de réhabilitation. Près de 1000 m² sont transformés en nouveaux logements. Le culte réformé, lui, continue. De nos jours, on estime à 800 le nombre de protestants en Savoie. Aix-les-Bains, avec l’église de l’ancien asile évangélique et Saint-Swithun est l’un des lieux de culte les plus dynamiques, la saison thermale restant une période propice au culte.

Merci au Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement à l’initiative d’une visite intéressante au sein de l’Estal, en présence de représentants de la paroisse protestante.

Pour en savoir plus :

  • André DARRACQ. Le pasteur André Fournier. Restaurateur du protestantisme à Aix-les-Bains et en Savoie. in Arts et mémoire, 2002,
  • André FOURNIER, Asile évangélique d’Aix-les-Bains, Rapports 1875-1880 – consultable ici

Publié par Karen

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