C’est l’une des histoires d’amour les plus mondaines d’Aix-les-Bains : le 7 décembre 1929, le prince Aga Khan prit pour épouse Mademoiselle Andrée Joséphine Carron, 31 ans, commerçante à Aix-les-Bains. Conte de fées, pas vraiment : l’union a duré 14 ans. Mais avouez qu’un mariage princier mérite un arrêt sur image.
L’Aga Khan et Andrée Joséphine Carron comment est-ce possible ?
Heureux ceux qui connaissent la vérité vraie. Tous deux ont pour Aix-les-Bains un attachement en commun. Elle, certains journaux la rebaptisent « Odette », évoquant une possible rencontre à Chambéry, d’autres à Paris… Même si c’est bien à Paris que cette native d’Aix-les-Bains tenait une maison de mode avec l’une de ses soeurs. Et c’est aussi à Paris que se trouvait alors son père Joseph Carron, hôtelier ayant évolué de la Savoie vers la capitale. Sa mère avait déjà quitté ce monde vingt ans plus tôt et fût enterrée à Chambéry.
Lui, le prince Aga Khan, disposant d’une résidence en Suisse, était coutumier de la cure thermale à Aix. Les Thermes Pétriaux en conservent le souvenir, avec la douche dite de l’Aga Khan. Le Café des Bains aussi aurait été l’un de ses QG. D’où une plaque à son nom apposée également sur le mobilier du café.
Ce qui fait cancaner jusqu’à l’automne 1929, c’est surtout le schisme culturel, entre une simple « vendeuse », « chocolatière », « savoyarde » et un chef religieux musulman, fondateur de la Ligue musulmane… lui apprenant le golf… Imaginez !
Et pourtant, le 7 décembre 1929, Andrée Carron devint la princesse Andrée Aga Khan, épouse du prince Aga Khan III, né sultan Mohammed Chah à Karachi, formé à Eiton, puis Oxford, quelques années avant qu’il ne préside l’Assemblée générale de la Société des Nations, 1937.
Une (in-) discrète cérémonie à Aix-les-Bains
Un mariage princier que les futurs époux souhaitaient officialiser en mairie d’Aix-les-Bains en toute discrétion… Loupé ! Il faut dire que l’annonce avait tout de même été officialisée par un télégramme du 4 octobre 1929 : les deux amants étaient revenus brièvement à Aix-les-Bains pour officialiser leurs fiançailles.
« Nous avons fait tout notre possible pour passer inaperçus ». « Monsieur le maire, c’est un pays que j’aime beaucoup. Ma femme, elle-même, vient d’ici. Alors je suis heureux d’être ici en ce jour si heureux de ma vie. Pour le jour le plus heureux d’ici. »
Déclaration du Prince Aga Khan III, 7 décembre 1929
Déjà les semaines précédant l’union, la mairie a été ensevelie de requêtes en tous genres à l’attention du Prince. La veille du mariage civil, le journal aixois « L’Avenir » rapporte que les « hôtels d’Aix-les-Bains ont été autant de salles de rédaction où se sont retrouvés des journalistes de tous les pays » ou encore que 200 personnes les attendaient devant l’étude de Maître Tournoud, à tel point que les futurs époux ont été contraints de quitter les lieux, par une issue de secours… Dans le pays, il se disait que le Prince avait acheté un terrain sur la commune du Viviers au bord du lac pour y faire bâtir une somptueuse villa.
Alors, ce 7 décembre 1929, comment cette incessante pluie fine aurait-elle pu décourager les curieux attroupés par milliers devant l’ancien château du Marquis d’Aix, devenu l’Hôtel de Ville ?
Certes, il n’était que question d’un mariage civil, puisque le mariage religieux sera célébré le 13 décembre suivant à Bombay. En présence de l’imam de Paris, le maire Henri Clerc officia et remit aux époux un stylo en or, arborant les armoires de la Ville d’Aix, afin de procéder aux signatures. Plus tard, on reprochera à l’édile non pas son goût pour la littérature, ni sa carrière artistique, mais son implication dans la collaboration... lui valant confiscation de ses biens et condamnation aux travaux forcés.
Certes ce mariage impliquait pour Andrée Carron de renoncer autant à sa foi catholique qu’aux titres nobiliaires de son futur époux. Pas de robe blanche qui tienne, la couleur verte l’emporte. Qu’importe.
Certes, le cortège avait été voulu très sobre. Les Aixois ont pu reconnaitre Antoine Borrel, alors député, président du Conseil général de la Savoie et fondateur de l’Union mondiale des Savoyards ainsi que Maître Charles Durand, précédant l’arrivée du Prince. Qu’importe.
Certes quelques « happy-fews » de l’époque furent conviés à déjeuner au Nouveau Café de l’hôtel du Pavillon face à la gare. Les gourmets se souvinrent des perdreaux de Corsuet, des cèpes du Revard ou encore de l’omble chevalier du lac. Le couple avait un programme chargé avant de rejoindre l’Inde. Un peu plus tard, en 1933, naquit à Neuilly-sur-Seine le prince Sadruddin Aga Khan, devenu diplomate franco-suisse. Selon sa biographe, « il garda une tendresse particulière pour sa terre maternelle« .

« Je suis très heureuse que le Prince ait bien voulu que nous nous marions ici dans mon pays. Nous y reviendrons deux mois chaque année pour nos vacances.«
Déclaration d’Andrée Carron à l’issue de la cérémonie du mariage civil, 7 décembre 1929
Alors, oui, ce 7 décembre 1929, il devait régner un sentiment de fierté. « Lorsque le couple parait, les acclamations s’élèvent. La foule rompt les barrages, les photographes se précipitent, les opérateurs de cinéma ont toutes les peines du monde à défendre leurs appareils contre la curiosité populaire« , rapporte un journaliste de l’Avenir.
Ainsi, Aix célébrait quelques heures seulement une union à haute symbolique, celle d’un conte de fée du XXème siècle, entre une femme dotée d’une personnalité audacieuse et un des hommes les plus riches et influents du monde. « Aix-les-Bains, que le plus fastueux des princes a choisi pour la plus modeste des unions ».
Rétrospectivement, on note que suite à son divorce en 1943 avec Andrée Carron, le Prince prit pour dernière épouse Yvette Labrousse également française, fille … d’un conducteur de tramway et d’une couturière ! Cette ex-Miss France l’accompagna au gré d’une carrière marquée par la création du Pakistan jusqu’à sa mort en 1957.
Retour à Aix. N’était-ce pas assez pour faire rêver, alors que survint le terrible « jeudi noir » actant le krach de 1929 ? La morosité prit alors le pas sur l’économie mondiale. La cité thermale tentera en vain de renouer avec le faste d’avant-guerre. La Seconde guerre mondiale entérinera avant l’essor du thermalisme de masse, favorisé par la création de la Sécurité sociale.
K.TURCK