Il est 7h30. Les ouvriers de la renommée usine Collombert débutent leur journée. Fini la guerre. Nous sommes en 1920. Les festivités reprennent. Aix a une saison à animer. Nous sommes en hiver, le train circule moins. Depuis l’atelier situé le long de la voie ferrée, on l’entend passer.
L’usine Collombert, reflet de la vie mondaine d’Aix-les-Bains
A qui mieux mieux, on aime à rappeler que Louis Collombert, fondateur de
l’usine pyrotechnique savoisienne, s’est illustré lors de l’inauguration du
théâtre du Casino Grand Cercle en tirant en juillet 1882 un feu
d’artifice sous la pluie. C’est dire !
« Ces feux d’artifice au milieu des ombrages, de cette luxuriante verdure, cela vaut une féérie des contes des Mile et une nuits. C’est un coup d’oeil inoubliable que voir pareillement éclairées la foule élégante, tant de délicieuses toilettes, qui garnissent la longe étendue des terrasses, apparaissant en outre sous la clarté lunaire et tamisée de l’électricité qui les surplombe. »
Armand Bourgeois, Impressions aixoises et savoisiennes, 1905 (extrait p.17)
Nous en sommes en 1920. La Maison Collombert est quasi centenaire, et a su, à force de distraire les soirées mondaines aixoises et d‘épater les grands de ce monde en villégiature, elle aussi, se bâtir un fier empire commercial, dans toute la métropole et les colonies de France. Rien qu’à Aix, toutes les semaines, on tire un feu d’artifice depuis les jardins du Casino.
Nous sommes en 1920. Louis Collombert, artificier, auquel ont succédé ses fils Joseph et Charles, trouva la mort 18 ans plus tôt dans son atelier, à la suite d’une explosion d’une chandelle romaine … Tout l’atelier prit feu. Tout le monde, sauf Louis Collombert, père de 14 enfants, put s’échapper. Son ouvrier nommé Drivet et l’apprenti souffrirent eux de graves brûlures.
Coïncidence macabre : ce matin à 7 heures 45 environ, un dépôt
d’obus abrité au sein de l’usine Collombert prit feu[1], entrainant alors une forte déflagration. Sauve-qui-peut général. Puis une seconde explosion, couchant à terre la plupart des rescapés. « Un stock considérable d’explosifs ayant appartenu à l’armée était resté dans les bâtiments. Malgré les avis réitérés des autorités militaires, on n’avait pu ou voulu débarrasser l’usine« , souligne le journal parisien Le Matin dans son édition du 17 janvier.
Voilà que l’usine explose, Aix avec.
« Il y eut dans la ville un moment de panique indescriptible« , rapporte Le Matin. Plus loin en gare, les vitres du Paris Express se brisent. Même les vitraux du Casino Grand Cercle explosent.
L’hôpital municipal est touché et n’est pas en mesure de conserver les malades. Il faut transférer les malades et les blessés de l’explosion vers l’Hospice de la reine Hortense.
En fait, Aix explose.
L’incendie s’étend à l’usine, quoique les pompiers parviennent à inonder les poudreries.
A Chambéry, on perçoit le bruit des détonations. Certains crurent à un tremblement de terre.
Bilan : 8 à 10 morts, et selon les sources jusqu’à 80 blessés recensés. 8 ouvrières de l’usine Collombert périrent. Toutes ont plus de 40 ans, à l’exception d’une, certaines sont veuves de guerre, mères, grand-mères. « On a trouvé des débris humains accrochés aux arbres à 500 mètres du lieu de l’accident« , rapporte le lendemain même le journal lyonnais « Le Salut Public ».
10 000 personnes assistèrent aux funérailles des victimes – d’abord inhumées dans une même tombe, puis individuellement… au cimetière Saint-Simon. Seule une tombe en conserve encore la mémoire du drame.
Un très symbolique rescapé : le vitrail de l’Amour
Déambulez du foyer du théâtre du Casino vers le salon Victoria, et porter un
regard attentif au vitrail exposé sous vitrine. Il s’agit du seul rescapé de
l’explosion. Une oeuvre signée Louis-Jacques Galland[2], maître verrier qui avait également réalisée les verrières des galeries nord et sud[3]. Le vitrail réalisé célèbre la cité thermale et son écrin de verdure[4], portant dans son cartouche « L’amour puise des forces aux sources bienfaisantes d’Aix-les-Bains » [2].

La fin d’une grande aventure industrielle à Aix-les-Bains
Les Frères Collombert, eux, poursuivirent, avec le concours de la municipalité leur combat pour obtenir (en vain?) une indemnisation de la part de l’Etat. Des indemnités modiques semble-t-il furent promises aux victimes de l’explosion, y compris des bâtiments impactés.
7 ans plus tard, la Ville d’Aix fit finalement l’acquisition de l’usine et de terrains annexes mise en vente par les Frères Collombert, avec le projet de créer un dépôt et un marché aux bestiaux. Une décision vivement contestée par une affiche placardée par les 4 ouvriers et 13 ouvrières, soucieux de conserver leur salaire et une activité « source de prospérité pour Aix ».

Une fois les locaux acquis, le comité des fêtes put se servir en matériel de pointe (machines à écrire, à calculer, polycopier, matériel de fêtes). Une partie des locaux fut louée à une entreprise de papèterie iséroise, intéressée de poursuivre l’activité de cartonnage, en accord avec l’un des ouvriers historiques. L’autre partie a provisoirement accueilli deux classes au début des années 1930, avant l’agrandissement de l’école de Choudy.








Merci aux guides conférenciers de l’office du tourisme AixRiviera qui ravivent, lors de la visite guidée du Casino, le souvenir de cet accident de l’usine Collombert.
Des recherches sont également menées par André Carret.
Contact par téléphone : 06 32 34 86 67.
[1] Michèle Conchon, Guerre 1914-1918. Dommages de guerre. Ministère des Régions libérées : fonctionnement, gestion du personnel et contentieux (1914 -1946), Répertoire numérique détaillé des dossiers conservés dans la sous-série AJ/28, Archives nationales (France), 2017, p.41
[2] Louis-Jacques Galland, dit également Jac Galland, fut peintre verrier et décorateur comme son père, Pierre-Victor Galland, grand peintre décorateur du Second Empire et de la Troisième République à qui l’on doit certains décors de l’Elysée et de l’Hôtel de ville de Paris,
[3] Emile Delaunay, « Les Embellissements du Grand Cercle », in L´Avenir d´Aix-les-Bains, n° 18. Aix-les-Bains, 1er mai 1896, p. 1
[4] Antony Valabregue, « Le verre opalin dans le vitrail contemporain », in
Revue des arts décoratifs, 1897, p.259-260